- ARC-ET-SENANS
- ARC-ET-SENANSARC-ET-SENANSRéalisée entre 1775 et 1779, la manufacture des salines d’Arc-et-Senans, située en bordure du Jura, est un exemple précoce d’architecture industrielle conçue avec un souci d’esthétique. L’architecte Claude-Nicolas Ledoux y fonda en partie sa théorie de l’urbanisme et sa philosophie visionnaire de la société, dont les prolongements sont à rechercher dans sa publication L’Architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation (Paris, 1804); Arc-et-Senans, son chef-d’œuvre, s’inscrit dans la lignée des villes idéales dont l’inachèvement — hypothétique — renforce le caractère utopique (M. Gallet, Claude-Nicolas Ledoux, 1737-1806 , Paris, 1980). Inoccupés depuis 1920, classés monuments historiques et restaurés, les bâtiments de la saline abritent depuis 1970 le Centre international de réflexion sur le futur.On a du mal à imaginer aujourd’hui le rôle primordial joué par le sel dans la société préindustrielle. Unique agent de conservation des produits alimentaires, tant pour l’homme que pour le bétail, il intervenait également dans la transformation de nombreux produits de première nécessité (traitement des peaux, par exemple). Cette importance est évidemment confirmée par sa place dans les échanges commerciaux, et surtout par l’impôt qui en contrôlait toute production et transaction. La ferme, qui désirait améliorer le rendement de la gabelle , espérait que la création des salines d’Arc-et-Senans contribuerait à accroître sensiblement la production. Il s’agissait en l’occurrence de traiter selon la méthode de «graduations» (évaporation provoquée), traditionnelle en Franche-Comté, les eaux non utilisées sur place à Salins. La recherche de réserves de bois nécessaire au chauffage des poêles fit choisir le site d’Arc-et-Senans, «placé entre deux rivières, à proximité d’une forêt de quarante mille arpents, au centre du continent qui communique à la mer du Midi par le canal de Dôle, à celle du Nord par le Rhin et le port d’Anvers». La principale difficulté fut la construction d’une canalisation d’une vingtaine de kilomètres, qui devait relier le puits de Salins à Arc-et-Senans.Grâce à de puissantes protections, Ledoux avait obtenu dè 1771 la charge d’inspecteur général des salines de Franche-Comté; et c’est à ce titre qu’il dessine les plans d’Arc-et-Senans. Son premier projet, présenté au roi en 1774, est d’emblée conçu avec envergure, tant sur le plan du programme dicté par les impératifs industriels que sur celui des formes architecturales; leur monumentalité, insolite en un tel lieu, illustre l’idéal de société de la fin des Lumières et symbolise les rapports du pouvoir monarchique avec le progrès économique. Dès la fin du XVIIe siècle d’ailleurs, sous l’impulsion de Colbert, l’architecture des manufactures avait connu en France un développement original, qui culminera dans un premier temps à la Manufacture des Gobelins à Paris — dont le plan, publié par J. F. Blondel dans L’Architecture française , n’a pas pu échapper à l’attention de Ledoux. Mais la manufacture se caractérise alors par un regroupement de fonctions très diversifiées contenues entre deux pôles: l’unité de production et l’habitat ouvrier qui l’accompagne. L’entretien coûteux, souvent dû à la médiocrité des constructions, tout autant qu’à l’hétérogénéité des lieux de travail, a déterminé Ledoux à concevoir les salines comme une unité organique. À l’image d’une cité idéale, celle-ci articule des fonctions complémentaires (usine, magasins, manutention, bureaux, habitat ouvrier, direction et culte) selon une symétrie harmonieuse et symbolique à la fois. Au premier plan de forme carrée, qui mettait en jeu un vaste dispositif de galeries de circulation, Ledoux substitue en définitive un plan en demi-cercle radioconcentrique, qui, selon lui, offrait plus d’avantages pratiques, mais aussi une forme pure «comme celle que décrit le soleil dans sa course. Tout est à l’abri du soleil de l’oubli.» Le plan de Ledoux, fidèle au principe de hiérarchie centralisatrice de la monarchie, fait converger toutes les directions vers la demeure du directeur. La symbolique cosmique exprimée dans le plan, conformément à l’esprit de rationalité de l’entreprise, cède la place à un symbolisme pittoresque et naturaliste dans le décor, qui demeure pourtant sévère et qui met en jeu des masses contrastées et monumentales: l’ordre dorique, primitif et puissant, s’accompagne de bossages vigoureux, de chaos rocailleux et de congélations évoquant l’univers minéral. Le concept d’architecture parlante trouve ici une de ses premières applications, que Ledoux reprendra par la suite dans la construction du théâtre de Besançon et de certaines barrières d’octroi de Paris. Mais c’est seulement à partir de la ville rêvée, dont il publie les commentaires et les gravures en 1804, qu’il est possible de percevoir la profondeur de la pensée sociale, toute rousseauiste, de Ledoux — dont on a récemment mis en doute l’authenticité (Bernard Stoloff, L’Affaire C.-N. Ledoux. Autopsie d’un mythe , Bruxelles, 1978).
Encyclopédie Universelle. 2012.